Le chemin de Zaccaria 5
Le chemin de Zaccaria5
Je suis rentrée en Italie, où je vie, depuis de nombreuses années. Ces années passées loin de mes racines ont toujours été très fortes, pleines d'une chaleur qui remplit le corps et l'esprit. Les coteaux sur lesquels j'ai accroché mes rêves sont peuplés d'oliviers et de cistes. En marchant sur les chemins escarpés, je rencontre souvent des moutons ou des chèvres gardés par de gros chiens blancs souvent agressifs que j'ignore en sifflotant. Sous mes pieds d'innombrables petits cailloux jaillissent d'une terre desséchée et aride. Quelques grands chênes lièges abritent de petits arbres où l'ombre colorée de taches blanches des cistes en fleurs, dégage une fraicheur boisée,
L'air des collines est presque irrespirable en été. La canicule triomphe au long de journées sans fin où les villages déserts plongent en une léthargie profonde. Mais lorsque le soir étend ses ailes fraiches et colorées , la vie reprend son cours. Dans les rues du petit bourg des volets roulants grinces à l'unisson, des véhiculent s'élancent en criant à tue tête les refrains de l'été. Ceux qui préfèrent la fraîcheur de la nature, comme moi, se promènent dans les terrains alentours, sur les chemins autour du village. Pour ma part, j'aime me promener vers le site nuragique. Il s'agit d'un site à l'abandon, puisqu'il n'y a jamais eu de fouilles archéologiques, même si d'après moi il aurait certainement beaucoup de secrets à dévoiler. Le site se trouve en haut de la montagne juste à la fin de notre terrain. En haut, une petite porte taillée grossièrement dans le grillage ouvre ses bras vers les montagnes.
Je me fraye un chemin au milieu du maquis en essayant de ne pas perdre l'équilibre. Après quelques instants de marches, le sommet du site apparaît. Une immense pierre arrondie avance doucement comme une baleine sur le coteau. C'est un ancien « domus de Janas ». Il s'agit de tombes creusées dans le rocher. L'archéologie moderne les indique comme étant des constructions funéraires de l'art pré-nuragique, mais pour moi ce sont des lieux pleins de magie où l'on ne sait pas où se termine la légende et où commence la réalité. Selon la tradition populaire ils étaient habités par des fées ou des sorcières "les Janas".
En réalité, elles étaient l'une et l'autre. Aussi petites que des oiseaux et pas plus grandes que la paume d'une main parfois, ou grandes et élancées d'autres fois. Elles étaient belles comme la lune, dont elles tiraient la lumière pour briller, elles ne sortaient de leurs cavernes que la nuit, de peur que le soleil ne brûle leur peau délicate. Gentilles, espiègles, timides mais parfois terribles, ont les appelait les Mala Janas. elles peuplaient les bois vêtues de robes rouge pourpre et de châles brodés de filaments d'or.
Sur ce gros rocher préhistorique sont creusés plusieurs éléments qui font allusion aux offrandes et aux rituels funéraires pratiqués par les peuples pré-nuragiques: des niches creusées pour la plupart au niveau du sol comme des fossettes creusées dans la pierre. Mais ici, il n'y a ni cellule funéraire ni tombe, ou elles n'ont pas encore été découvertes. Elles dorment peut-être sous ce promontoire recouvert de terre et de grosses pierres qui semblent taillées par les mains d'une nature incroyablement habile.
En l'absence de données de fouilles, on ne peut pas vraiment formuler une datation précise des hypogées, même si des comparaisons avec d'autres contextes insulaires ont permis de supposer qu'ils appartenaient à l'horizon du Néolithique final . Je parle d'une culture qui remonte à 3200-2800 ans av. J.-C.
J'aime rechercher ces encastrements entre le temps et les pierres qui me font rêver.
Au sommet, des bergers ont laissés les traces d'un feu de camps sous les oliviers sauvages qui les abritaient sans doute de la chaleur.
Je m'assoie. Le panorama s'envole vers la baie de Cagliari à l'horizon, puis se fond en un bleu intense sur la mer. Les cigales, qui chantaient à tue-tête alors que la chaleur dans la terre était intense, se taisent avec l'arrivé d'un courant frais venu du nord. Le vent du soir caresse les branches des oliviers qui en frémissant colorent leurs feuilles de rose et d'argent.
Allongée sur le dos lisse et chaud de la "baleine" je glisse vers le ciel, je disparais.
Quelques jours auparavant, sur cette colline où nos chiens avaient fait un tumulte infernal en s'échappant du terrain, je me sentais maintenant en paix avec la vie, protégée. Il était évident que je n 'étais pas seule.
Deux jours avant, alors que je me reposais, sur la terrasse de notre maison, un de nos deux chiens du nom de "Noir", un bouledog français, échappe au contrôle de Naturelle la fiancée de mon fils ainé Enki et il se précipite en aboyant vers le grillage qui borde le terrain. Il saute de l'autre coté vers les moutons qui pâturent paisiblement. "Arden", l'autre chien, un croisement entre un berger Maremanno blanc et un labrador, pris d'une jalousie féroce, se précipite lui aussi. Tout le monde est pris d'une frénésie , les chiens courent vers le sommet de la montagne et vers les moutons. Nous nous précipitons.
Quelques instants qui ont durés une éternité, nous ont plongés dans une situations d'alerte. Un gémissement terrible retenti, puis un autre. Je me précipite aussi, le terrain est extrèmement pentu, je cours en criant
-" Arden revient, arrête-toi!". Le souffle me manque, je m'arrète. Je croise Enki qui redescend en courant.
- » je vais l'intercepter en passant par en bas. En haut le grillage nous bloque le passage. » me dit-il en me croisant comme une flèche.
En bas Carl et sa fiançée Tess sont arrivés et décident de nous aider. toute la famille est en émoie.
Je reprends ma course en suppliant Arden d'arrêter.
- »Ardeeennnn !»
Ma voix s'élance en ricochant vers les collines, couvrant les gémissements du pauvre mouton. Je cours. Je me retourne et je vois une chemise à carreaux bleu-gris qui sort du sous-bois. C'est mon autre fils qui nous vient en aide, ameuté par mes cris. J'arrive en haut du terrain, j'ouvre la petite porte sur le grillage. Takezo est encore loin, plus bas, il monte moins vite que je ne pensais.
Je cours en brisant les branchages des cistes sous mes pieds. Les aiguilles des arbrisseaux griffent mes bras. Je continue à hurler dans l'espoir que mon chien revienne. Je me retourne désespérée en cherchant de l'aide, Takezo s'est rapproché mais il est encore loin. Nous sommes tous les deux au sommet de la colline.
Je le vois qui s'arrête. C'est étrange!
Je le regarde et je lui fais signe de venir vers moi. Il me regarde. Puis avec un calme désarment, il fait demi-tour et disparaît en bas derrière les arbres. Je ne comprends pas. Je reste un instant perplexe.
Puis, je reprends ma course, arrivée proche de la baleine, je me retrouve au milieu du troupeau. Je n'entends plus de gémissements. Je ne sais pas où me diriger. Une légère inquiétude se fait ressentir.
Pourquoi Takezo est-il redescendu sans rien dire? Je regarde autour de moi. je sais qu'avec les moutons il devrait y avoir aussi les chiens du berger. L'inquiétude se fait plus forte. Je me dis que je devrais peut-être suivre les pas de mon fils et redescendre moi aussi.
Je cherche mon chien, je l'appelle. Le silence à remplacé le tumulte. Je suis au milieu des moutons, autour de moi les collines étendent leurs courbes décharnées, le soleil frappe fort. Tout est calme, très calme, trop calme.
La préoccupation, l'inquiétude ou la peur me poussent à rebrousser chemin, je m'achemine d'abord tranquillement puis mon pas se fait plus vif, pressant, je commence à courir. Je me précipite comme si quelqu'un me poursuivait. J'arrive à la porte rouillée que j'arrache précipitamment, je la referme derrière moi en la bloquant avec une grosse pierre. Je suis sauve...
En bas de la colline, je rencontre un de mes fils, Enki qui a retrouvé les chiens, Noir et Arden. Il m'explique qu'avec son point sur leur museau, il a réussi à leur faire lâcher prise. Il pense que le mouton survivra.
J'arrive à la maison, la première chose que je veux savoir, c'est pourquoi Takezo m'a laissée seule la haut. Je frappe à la porte de sa chambre. Il ne répond pas. J'ouvre la porte. Il retire les gros écouteurs de ses oreilles et me regarde.
« Pourquoi as-tu fais demi-tour ? Je me suis retrouvée seule au milieu des moutons avec les chiens du berger qui auraient pu m'attaquer, ».
- »De quoi, est-ce que tu parles ? » me répond Takezo
- »Tout à l'heure, en haut de la montagne, tu me suivais, tu m'as regardée et tu as fait demi-tour. Pourquoi ? »
- »Mam, j'étais dans ma chambre tout l'après-midi, je travaillais et je ne suis pas sorti. De quoi tu parles ? »
Je ne comprenais pas sa réponse. Je le regardais interloquée. Il était là, devant moi dans sa veste de pyjama à carreaux bleus et gris avec ses chaussons et son air tranquille.
- »Tu marchais derrière moi sur la colline en cherchant Arden et tu as fais demi-tour, pourquoi ? »
- »Mam, j'étais dans ma chambre je te dis. Qu'est-ce qui s'est passé avec Arden ? »
- »C'était toi derrière moi sur la colline ? »
- »Non, tu as peut-être vu un berger. »
- » C'était toi! Je t'ai reconnu et tu portais cette veste de pyjama. »
Il se met à rire, me dit qu'il m'arrive toujours des choses incroyables. Puis il s'assoit devant son ordinateur, remet ses écouteur et continue tranquillement ce qu'il était en train de faire.
Je le laisse. Je referme la porte de sa chambre avec précaution comme si je ne devais faire aucun bruit, ne déranger personne. Je réfléchis.
- J'étais seule sur la colline. J'ai vu « Takezo » faire demi-tour, sinon je ne serais jamais redescendue. Je serais restée la haut, continuant à hurler après mon chien en le cherchant dans l'espoir qu'il abandonne sa proie.
Le lendemain en passant sur la route je croise de nouveau le troupeau de mouton, je ralentis pour les laisser passer mais les chiens s'attaquent à ma voiture. Leur agressivité me glace le dos. Je remonte les vitres rapidement alors que les chiens se jettent sur la carrosserie. Elle me protège. Je redémarre et j'essaie d'avancer lentement la peur au ventre, même à l'intérieur de ma voiture. Il me semble qu'ils pourraient presque crever un pneu avec leurs crocs s'ils le voulaient. Je voyais qu'ils étaient capables de déchiqueter n'importe quelle matière avec grande facilité et qu'ils étaient plutôt vindicatifs. Quelques images terribles traversèrent mon esprit, je les chassais en me frayant un chemin au milieu du troupeau. J'avais trois gros chiens attachés à mes pneus qui aboyaient comme des forcenés en donnant des coups contre la carrosserie de ma voiture. Une pensée terrible traversa mon esprit.
- Que me serait-il arrivé hier en haut de la montagne si je les avais rencontrés, alors que j'étais seule sur la colline et que mes chiens avaient essayé de tuer un mouton de leur troupeau?- et m'avaient-ils réellement reconnue?
Les chiens des bergers sont généralement agressifs par chez nous, mais cette fois-là, ils l'ont été particulièrement sans aucune raison évidente sinon qu'ils m'avaient vue ou avaient reconnu mon odeur la veille sur la colline.
Mais alors, qui était venu sous les traits de mon fils pour me faire rebrousser chemin ?
Cette question, je me la suis posée souvent. Aujourd'hui, je ne me la pose plus.
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